Calcutta.1962. 1989. 2008
"Ce matin là, on circulait facilement, mais au bout d'un certain
temps, l'avenue parut rétrécir, s'éffondrer sur elle-même, à cause de la densité humaine accrue. La chaussée devint plus étroite, car les cabanes et les abris qui la bordaient, parmi lesquels on ne discernait aucune véritable couleur, rien qu'une espèce de macédoine de bruns, noirs et gris, empiétant, semblait -il, sur l'espace réservé aux véhicules, cachaient les bâtiments plus solides en béton et donnaient l'impression d'une très longue route de village creusée à même la terre; le peu de fraîcheur qu'avait apporté le matin était déjà cosumé par les émanations brunâtres des pots d'échappement et la poussière pailletée de soleil que soulevait les voitures. Ce qui semblait toujours menacer dans de nombreux endroits du centre de Calcutta paraissait s'être déjà produit dans ce quartier : on avait l'impression d'assister à la création d'une ruine, une grande ville habitée retournait à la terre…
A présent je me disais que nous étions peut-être en présence de ce qui se passe quand les villes meurent.
Elles ne succombent pas forcément à grand bruit ; elles ne meurent pas uniquement quand leur population les abandonne. Peut être peuvent-elles aussi mourir ainsi : quand tout le monde souffre, quand les transports sont si pénibles que les travailleurs préfèrent renoncer à des emplois dont ils ont besoin plutôt que d'affronter les affres du déplacement: quand personne ne peut obtenir de l'eau ou de l'air pur ; quand personne ne peut aller se promener. Peut être les cités meurent-elles quand elles finissent par être dépouillées des agréments que procurent d'ordinaire les villes, du spectacle des rues, du sentiment exacerbé des possibilités humaines, pour devenir simplement des endroits surpeuplés où tout le monde souffre...
L'asphalte poisseux de la rue en pente s'étalait entre de grands tas de poussière irréguliers, qui s'étaient durcis en mottes dans les caniveaux ; à présent, les rues ne seraient plus nettoyées que par la mousson. Devant le marché, le trottoir jadis pavé s'était effrité et fondu par endroits dans la terre des caniveaux. Les gens vaquaient à des tâches minuscules. Des hommes tiraient des pousse- pousse. En 1962, ce spectacle m'avait hérissé, mais on disait que les
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