8.10.08

Je m'en allais chercher des oies du côté de Fouilly les oies.. Octobre 2008

Dans l'arkhangai, la terre se plisse en petits monts boisés de mélèzes orangés. L'été indien nous enlasse dans une douce nonchalance, un temps suspendu aux températures encore clémentes. A mesure que nous plongeons dans l'immense solitude, la steppe sauvage nous drape de lenteur et de silence. Nos joues s'arrondissent comme celles des mongoles à coup de crème fraîche, de beurre doré, de "tsa" (thé au lait) et de gras de mouton.
Le café s'éternise au matin. Le gel de la nuit s'évapore en volutes sous les rayons du soleil distillant une lumière pâle de pays scandinaves.
Rituellement, un cavalier vole plus qu'il ne galope vers notre tente. Comme un chat, curieux mais discret, le berger recherche la compagnie sans briser le calme posé.
Seules les ailes d'un oiseau noir brassant la brise bleutée, le cliquetis de l'étrier résonnent dans l'air épuré.

La piste s'évade sur l'horizon, l'espace infini nous aspire comme un tourbillon. L'océan de silence où l'herbe ondule en vagues à jamais renouvelées nous appellent délicieusement.

Une masse sombre arrête parfois le regard. La ville ? Nous parions sur la distance qui nous en sépare et commençons à peu nous tromper. Son ombre mystérieuse se distingue souvent à plus de 30 km. Le rouge, le bleu turquoise des toits, les fumées flottent dans l'espace: Il ne reste alors qu'une dizaine de km à parcourir.
Ville de nomades depuis des millénaires, toute construction à l'exception de vieux bâtiments russes délabrés semble éphémère et évoque le far west.
Derrière un quadrillage de palissades en bois, seul le "toono" (couronne en bois) de la "ger" (yourte) et son tuyau de poêle dépasse sur le ciel éthéré. Les tronçonneuses vrombissent à tout va, les tas de bois bien rangés s'amoncellent un peu partout en préparation de l'hiver.
La rue centrale est large et poussiéreuse.
Des chevaux aux selles décorées attendent devant un "Delgour" (magasin); une élégante en "Del" satiné (manteau traditionnel mongol) semble préssée; un âne tire une réserve d'eau d'un air triste; une gamine aux joues rouges et aux couettes rebelles s'arrête pour poser ses bidons de fer blanc; un vieux aux lunettes rafistolées klaxonne comme un enfant sur sa "ije" ( moto russe) pétaradante.

A partir de Tes, alors que 40 km nous sépare du sud de la Sibérie, le désert reprend ses droits semblant s'être échappé du Gobi. Des dunes dorées barent l'horizon au nord, des montagnes austères et chauves au sud. Le sable envahit la route, la tôle ondulée secoue nos vélos fatigués. La piste ronge les pneus chinois et l'aile d'un porte-bagage se rompt sous le poids des saccoches.
Nous ne manquons plus de tourner trois fois autour des "ovoo" (cairn sacré) drapés de foulards bleus, flanqués de bouteilles de vodka vides priant pour arriver sur l'asphalte russe sans trop de casse.
Avant Ulaangom, la nature accouche d'une alliance extravagante: un désert infini; un lac cobalt vaste comme la mer; des sommets enneigés aux lignes déchiquetées,l'Altai.

Ivre, il me semble sentir l'odeur de la marée mélée à celle de la neige alors que le soleil brûle ma peau comme au fin fond de la vallée de la mort. Délirium sensoriel qui n'est en rien responsable de la rencontre de chameaux poilus et dénigrants, formes ridicules en équilibre pourtant parfait, qui dans les ondulations de chaleur ne sont pas loin d'évoquer le dinosaure du Gobi.

"Je m'en allais chercher des oies du côté de Fouilly les oies. A bicyclette.Soudain, qui vois-je devant moi ? Une belle fille au frais minois. A bicyclette."

Ce matin sous la tente, réveil incongru. Bourvil nous extirpe des plumes du valandré dans la bonne humeur. Nous pédalons quelques jours avec Anthony croisé à UB et retrouvé joyeusement sur la piste.
Tony, cycliste fou, autre voyageur de l'hiver au rire contagieux nous accompagne jusqu'à Ulangom. Sur son grand vélo, ses loks folles pointant vers le ciel, il se nomme le cavalier noir et ressemble à un Don Quichotte de la steppe.

Le soleil baisse dangeureusement derrière l'ombre chinoise des montagnes dans la petit col avant Ulangom. La terre s'assombrit jusqu'à disparaitre et il me semble pédaler dans le ciel bleu lavande où flottent des nuages rosés virant au pourpre.
Quelques jours de repos. Le cavalier noir repart et ouvre la voie du Gorno Altaisk.
Une tempête de vent vécue délicieusement derrière une vitre découvre une neige épaisse sur l'Altai. L'hiver s'installe insidieusement. Nous partons vers le pays des aigles, des nomades kazaks et la Sibérie .

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